mardi 28 juin 2011

Les murs

Il y avait le mur des préjugés.

J'ai voyagé quelques semaines en République Tchèque avant de me rendre à mon chantier. Lorsque les gens de ce pays me demandaient quelles villes j'avais l'intention de visiter, ils réagissaient très négativement lorsque je leur parlais de la ville d'Usti nad Labem. "Il ne faut pas aller là, c'est rempli de gitans!", qu'ils me répondaient. Quand je leur disais que j'allais justement passer 2 semaines dans la communauté de gitans, les gens tentaient de m'en dissuader: "N'y va pas! Ils vont tout te voler!" Les plus réservés, me disaient avec un air grave: "Fais attention à toi."


Puis, il y a eu le mur de la langue.

S'il est vrai qu'au début il était dur à franchir (avant de saisir que nous ne comprenions rien à leur langue, les enfants, croyant que nous étions malentendants ou juste "un peu lents", nous criaient après!;), nous avons vite trouvé des façons de communiquer: avec des signes, des expressions faciales, des sourires, etc. Au bout de quelques jours, ce mur ne nous séparait plus: Nous parlions tous un langage universel.


Vint ensuite le mur de la honte, du mépris et de la peur.

Ce mur, même s'il n'était plus là physiquement, était encore très présent dans le coeur des gitans. Quelques mois avant que nous arrivions, un mur, un vrai, avait été érigé sur la rue Matiční. Voici un extrait d'un article qui résume bien la situation:

" La municipalité a fait bâtir un mur en béton de près de deux mètres de haut, encerclant complètement un pâté de HLM délabrés plantés sur un terrain vague où vivent quarante familles de Tziganes.

L’idée est d’isoler les indésirables - qu’une majorité de Tchèques nomment «les Noirs» en raison de la couleur nettement basanée de leur peau - des autres habitants dans la rue Maticni au centre de la ville. Une fois le périmètre bouclé, les habitants du ghetto n’ont plus que deux portes, contrôlées, pour en sortir, et un couvre-feu à respecter.

«Le mur ne suffit pas. Il n’arrête pas le bruit et il y a deux portes, ce qui fait que les Roms peuvent aller et venir», se plaint pourtant Eva Kombertova, tenancière du bistrot voisin, où l’on se félicite de ce premier pas vers la segrégation raciale entre «Blancs» et «Noirs».

(Note de moi-même: ce dernier paragraphe me révolte!)

(Pour lire l'article au complet, c'est ici)


On m'a raconté que la nuit les gitans "déconstruisaient" le mur (sans le détruire de façon sauvage). Finalement, des gens (même des blancs) se sont indignés et ont fait pression. Les gitans disaient "Nous ne sommes pas des animaux!"

Le mur fut donc défait, puis il fut vendu et érigé... au ZOO d'Usti nad Labem. Quelle belle ironie! Le mur de la bêtise humaine...



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Dans mon premier billet, lorsque je vous disais qu'ils venaient de loin les jeunes Roms que j'irai applaudir demain soir, c'est que je pensais à tous les murs qu'ils avaient dû franchir pour arriver jusqu'ici. Des murs qui sont encore malheureusement très présents aujourd'hui.




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Ce billet est la suite de mes deux billets précédents:

L'intro: mon expérience avec les gitans

La suite: De beaux souvenirs avec les gitans

6 commentaires:

  1. Extrêmement intéressant. Riche expérience. Merci de partager avec nous. Cette ségrégation qu'ils vivent encore aujourd' hui selon Serge Denoncourt, on n'oserait plus la démontrer aussi ouvertement envers les "vrais" Noirs.

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  2. interressant et revoltant a la fois,merci du partage !

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  3. Un billet très intéressant, mais aussi triste et troublant. Il semble qu'on n'apprend rien des erreurs du passé...

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  4. Merci de prendre le temps de commenter!

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  5. Quelle expérience enrichissante. Malheureusement, la ségrégation socio-spatiale est encore très présente dans nos villes. La plupart du temps «les élites» imposent des règles de zonage qui empêchent les «indésirables» de s'approcher ou d'«envahir» un territoire qu'ils veulent «le leur» avec le zonage, une façon de faire pression sur la ville ou l'arrondissement afin de légaliser cette forme de ségrégation. De plus en plus de projets urbains isolent ces élites, selon le principe du «qui se ressemble s'assemble». Aux États-Unis, la plupart des nouveaux développements urbains/immobiliers promeuvent des «gated cities», des arrondissements entiers où l'on s'emmure et où les conditions, pour y vivre, sont si nombreuses que ne restent là que ceux qui pensent de façon tout à fait identique. Quand est-ce que l'humain comprendra que la diversité permet l'apprentissage, que le contact avec différentes cultures humanise?

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  6. @Lud: Merci beaucoup de prendre le temps de commenter. C'est très enrichissant!

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